Big Data : le défi de rester invisible du marketing pour une future mère de famille

Une sociologue américaine veut mettre en évidence les systèmes de traçabilité des consommateurs et des citoyens à la fois online et offline dans un monde qui évolue vers le Big Data. Elle s’est appuyée sur sa propre expérience pour rester invisible durant sa grossesse. Un parcours du combattant.

Il faut qu’une transaction commerciale soit juste une transaction et ne vienne pas nourrir les bases de données marketing qui prédisent nos comportements. C’est ce qu’a défendu Janet Vertesi, professeur de sociologie à l’université de Princeton à New York.

Sortir d’un système qui trace tout

Elle s’est exprimée durant la conférence Theorizing the Web, à Brooklin, le 25 avril. « Il faut pouvoir sortir de ce système de traçabilité, faire de l’opt-out, sans apparaître comme immoral, criminel ou tout simplement pas un bon citoyen » a-t-elle martelé. Elle s’est employée à montrer les implications politiques et sociales des robots de collecte (collecting bots), des cookies, trackers, beacons, …

Afin d’appuyer ses propos, elle a utilisé son propre cas montrant combien il est difficile pour une femme enceinte de cacher sa grossesse aux services marketing afin de ne pas recevoir des masses de publicité et de sollicitations. Elle entendait démonter les couches techniques qui nous suivent désormais au quotidien, à la fois online, offline et les deux en conjonction.

« Les données marketing d’une femme enceinte coûtent 1,50$ contre 10 cents pour n’importe qui, car une future mère prend des décisions qui vont avoir de la valeur sur le long terme comme le choix entre les couches Huggies ou Pampers. »

Ne pas apparaître sur Facebook

Etre invisible des bases de données marketing aura été un parcours du combattant. Tout d’abord, elle s’est employée à ce que sa grossesse n’apparaisse pas sur Facebook, les réseaux sociaux étant la principale source de données pour le marketing. Elle a téléphoné et emailé à sa famille pour leur dire qu’elle attendait un bébé, mais qu’ils n’en parlent pas sur Facebook.

Elle a fait sorte que l’on ne publie pas de photos d’elle montrant que son ventre s’arrondissait. Elle a été obligée de retirer de sa liste d’amis un oncle qui l’avait félicité via un message direct sur Facebook. Elle indique « Il m’a répondu qu’il ne l’avait pas publié sur mon mur, mais via un message. Les gens ne savent pas que Facebook écoute même les messages privés. »

Achats en argent liquide

Elle a acheté en argent liquide tout ce qui était relatif à sa grossesse afin que l’information ne remonte pas via ses cartes de crédit ni ses cartes de fidélité. Pour ce qu’elle voulait acheter sur internet, elle a créé un compte sur Amazon, relié à une adresse email sur un serveur personnel, et s’est faite livrée dans un point relais proche de chez elle. Elle payait en cartes cadeaux Amazon achetées en liquide.

Pour ce qu’elle voulait acheter en ligne, elle a utilisé le réseau d’anonymisation Tor pour ne pas être tracée. « Je n’aurais pas pu le faire sans Tor, car c’est le seul moyen de naviguer sur internet sans être tracée. Je sais qu’il a mauvaise réputation à cause du commerce de Bitcoins ou de la drogue mais moi c’était pour accéder au site web babycenter.com. »

Assimilé à un criminel

Mais agir ainsi a fait se lever quelques signaux d’alerte du côté de la société. Quand son mari a acheté une poussette pour 500$ avec des bons cadeaux d’Amazon, un avertissement au comptoir chez Rite Aid, une chaîne de pharmacies, a annoncé que la compagnie avait l’obligation légale de rapporter les transactions excessives aux autorités.   « Ce genre d’activités, payer en liquide, en bons cadeaux, sans carte de crédit, sans traçabilité sur internet, quand on les considère dans leur ensemble, surtout dans un cadre Big Data, sont exactement celles qui vous étiquettent comme criminel et non comme juste attendre un enfant » a-t-elle conclu.

Photo, Janet Vertesi, professeur de sociologie à l’université de Princeton à New York.

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