Google doit-il communiquer sur son véritable objectif, le transhumanisme?

Google effectue des acquisitions au croisement de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle et de la robotique. Des acquisitions qui sont motivées notamment par la philosophie transhumaniste des deux fondateurs.  Pourtant, la société ne laisse rien filtrer sur ses intentions exactes. Google risque-t-il un jour d’affronter un renversement d’image majeur ? Olivier Cimelière, directeur d’Heuristik communication analyse ici des signaux faibles dont il faudrait tenir compte. 

Pour le quidam moyen, Google est un puissant moteur de recherche sur Internet. Pour le technophile plus averti, c’est un prolifique incubateur de nouvelles technologies d’où sont sortis par exemple le système d’exploitation mobile Android, le navigateur Web Chrome ou des projets plus fantasques comme la Google Car qui se conduit toute seule ou le projet Loon qui vise à fournir une connectivité ultra haut-débit pour les zones rurales grâce à des ballons stratosphériques.

Pour les consommateurs, Google est aussi la ludique plateforme vidéo YouTube, l’incomparable cartographie visuelle StreetView et Earth ou encore la messagerie électronique Gmail. La liste est loin d’être exhaustive. Pour tous, c’est un champion hors catégorie à la trésorerie illimitée grâce à la manne publicitaire en ligne encaissée.

Google aujourd’hui : quelle perception ?

Transhumanisme - Google ecosystemCette vision est celle qui forge et alimente aujourd’hui la réputation de Google. Une entreprise qui fascine indubitablement par sa capacité à multiplier les innovations numériques tout en élargissant sa présence dans de multiples secteurs économiques de manière plutôt disruptive.

Mois après mois, le géant de Mountain View devient le poumon incontournable de divers écosystèmes. Il y a les marques vedettes comme YouTube, Chrome, Android mais aussi une cohorte de services toujours plus pointus comme par exemple Wallet, un système de paiement électronique sur mobile adopté actuellement par 10 millions d’utilisateurs (1).

En janvier 2014, Google a ainsi posé le pied dans un nouvel univers en rachetant le fabricant de thermostats connectés Nest Labs pour 3,2 milliards de dollars (2). Spécialisée dans les produits intelligents pour la maison, cette start-up permet à Google d’entrer puissamment dans l’univers de la domotique.

Une ubiquité qui pose des questions

Evidemment, cette ubiquité qui ne cesse de se développer,  ne manque pas de faire grincer des dents. Les acteurs des secteurs pénétrés par Google se rebiffent et accusent ce dernier de position dominante et de tuer la concurrence à petit feu. Au centre des accusations, l’algorithme du moteur de recherche de Google qui favoriserait selon eux les produits et les services concoctés à Mountain View et dans les autres centres R&D de Google.

D’autres s’agacent du non-respect des droits intellectuels comme dans le secteur de l’édition, de la télévision, de la culture et du manque à gagner induit par ces pratiques. Quant aux autorités politiques, elles ferraillent sans relâche contre la vision cavalière de Google au sujet de la collecte des données personnelles mais également sur son astucieuse tuyauterie d’optimisation fiscale qui évacue (en toute légalité) des montants dont les caisses des Etats seraient bien preneuses en ces temps difficiles.

Une communication soigneusement pesée et séductrice

Google ne reste pas sans réaction. Les dirigeants de Mountain View ont bien compris que la méthode du bras-de-fer qu’ils adorent cultiver peut temporairement aider à poser des jalons et à gagner du terrain mais qu’à un moment donné, ils doivent passer à d’autres cordes thématiques.

La première d’entre elles est historique, c’est celle de la magie des produits Google et du discours enchanteur qui va de pair à l’intention des utilisateurs. Chez Google, toutes les énergies sont officiellement mobilisées vers la praticité, l’efficacité et le plaisir des expériences.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’actuelle campagne de publicité pour Chromecast diffusée sur les chaînes de télévision française. Force est de reconnaître que les outils mis à disposition sont géniaux et d’une puissance rarement égalée.

Transhumanisme - GoogleplexEnsuite, Google sait cultiver et adoucir son image lorsque le contexte d’un pays l’exige.

La deuxième corde activée est celles des partenariats technologiques avec des pépinières et des initiatives à but non lucratif pour apaiser les tensions et montrer au final que l’entreprise sait aussi se montrer citoyenne dans ses contrées d’adoption.

Un emblématique exemple de cette approche est le Google Art Project avec des musées un peu partout dans le monde. Ces derniers disposent gratuitement des technologies de Google pour numériser des œuvres issues de leurs collections et permettre ensuite des visites virtuelles en haute définition depuis Internet.

Cette recette du partenariat a été déclinée à nouveau en 2013 pour la presse française avec laquelle Google était en conflit financier. Un fonds doté de 60 millions d’euros sur trois ans a ainsi vu le jour pour « trouver de nouveaux modèles d’affaire par l’innovation » (3) pour les sites d’information en ligne.

Google c’est cool

Autre atout d’image largement exhibé par Google : les conditions de travail « fun » en vigueur dans les bureaux et les Googleplexs. On ne compte effectivement plus les reportages sur l’ambiance « cool » des bâtiments aux couleurs vives où chaque employé peut se relaxer quand il veut.

On peut alors disputer une partie de Playstation, méditer au calme devant un aquarium relaxant, se faire masser, jouer de la guitare électrique ou se sustenter dans les cantines et kitchenettes regorgeant de victuailles pour tous les goûts.

C’est un pari payant puisque Google truste les distinctions en RH (Ressources Humaines) et est plébiscité par les moins de 40 ans. Tout récemment, Google a réactivé le filon en médiatisant largement celui qu’on surnomme « le chic type de Google » (4), Chade-Meng Tan. Auteur d’un programme de méditation best-seller, l’ex-programmeur donne des conférences itinérantes dans les locaux de Google sur la nécessaire empathie managériale !

Pendant ce temps-là, un autre agenda …

L'un des fameux robots de guerre de Boston Dynamics

Aujourd’hui, c’est ce fond d’image qui prévaut largement dans le traitement médiatique de Google et dans sa perception par l’opinion publique.

Certes, la tonalité n’est pas toujours sympathique et la polémique est constamment en train d’affleurer. Néanmoins, les débats se cristallisent avant tout autour de la domination de Google et l’empire sans cesse en expansion que ce dernier tisse sur la Toile.

Pourtant, en parallèle de cette profusion d’innovations technologiques et de partenariats divers, Google pousse également ses pions dans des domaines moins connexes au pur code informatique. Depuis deux ans, l’entreprise a en effet accru significativement son implication dans trois marchés spécifiques : l’intelligence artificielle, la robotique et la biotechnologie avec pour cette dernière un objectif de repousser la mort et les maladies !

Peu d’écho dans les médias

Assez étonnamment, les médias ne s’en sont globalement que peu fait l’écho hormis quelques entrefilets çà et là. De même, il est bien ardu de trouver des informations détaillées sur les sites et blogs officiels de Google au sujet de ces chantiers d’un genre nouveau mais loin d’être négligeables.

Pourtant, dans le domaine de l’intelligence artificielle, Google a fait un sacré bond en à peine un an en mettant successivement la main sur la start-up canadienne DNNresearch qui travaille dans les neurosciences et la start-up britannique DeepMind acquise pour 500 millions de dollars (5).

En vue d’améliorer la puissance de son moteur de recherche, Google s’intéresse effectivement depuis un certain temps à la compréhension des schémas neuronaux humains et à leur réplication informatique dans une machine capable d’apprendre par elle-même.

Neuf achats de sociétés de robotique

Or, l’histoire ne s’arrête pas à l’amélioration scientifique du célèbre algorithme Google. Dans le même temps, la frime a mis le paquet pour racheter neuf sociétés de robotique (6) dont Boston Dynamics, connu pour les robots mis au point pour l’armée américaine, et Atlas pour son humanoïde bipède utilisable dans les situations de catastrophes naturelles.

Enfin, troisième pan de l’agenda : l’accélération dans les biotechnologies et notamment le séquençage de l’ADN humain. En 2007, Google avait déjà investi 3,9 millions de dollars (7) dans 23andMe, une start-up dirigée par l’ex-femme d’un des deux fondateurs et visant à analyser le code génétique pour dépister les risques de maladies.

En septembre 2013, le géant du Web frappe fort en annonçant la création de Calico. Financée par Google et dirigée par Arthur D. Levinson (actuel DG de Genentech, un leader mondial en biotechnologies), la start-up vise ni plus ni moins qu’à repousser la mort grâce à une connaissance encore plus fine de l’ADN.

Une autre image corporate se dessine

Transhumanisme - tableauLoin d’être un scénario farfelu d’amateurs de science-fiction, les avancées de Google se sont également traduites par l’arrivée d’experts aux profils suffisamment explicites pour comprendre que Google devient autre chose qu’un simple géant numérique.

Fin 2012, c’est d’abord Ray Kurzweil qui rejoint Google pour travailler sur « l’apprentissage automatisé et le traitement du langage » (8). En avril 2014, c’est Cynthia Kenyon, une autre ponte de la science qui est venue renforcer les projets de Google en rejoignant Calico avec son immense bagage sur les mutations génétiques étudiées à l’Université de Californie à San Francisco.

L’homme augmenté

La figure de Ray Kurzweil est particulièrement symbolique de ce virage amorcé par Google. L’homme est en effet considéré comme le gourou du transhumanisme. Ce terme s’est répandu dans les années 90 à mesure que les nanotechnologies, la biologie génétique, l’informatique et les sciences cognitives ont commencé à converger sur des recherches communes et le concept d’« homme augmenté ».

Laurent Alexandre, chirurgien et président de DNA Vision, résume cette philosophie (9) : « Les transhumanistes soutiennent une vision radicale des droits de l’humain (…) Selon eux, l’humanité ne devrait avoir aucun scrupule à utiliser toutes les possibilités de transformation offertes par la science (…). L’homme du futur serait ainsi comme un site Web, à tout jamais une « version béta », c’est-à-dire un organisme-prototype voué à se perfectionner en continu. Cette vision pourrait sembler naïve. En réalité, un lobby transhumaniste est déjà à l’œuvre des NBIC pour changer l’humanité ».

Ce courant de pensée touche de surcroît particulièrement les deux fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin. En 2013, le premier a expliqué sur sa page Google + qu’il souffrait d’une paralysie partielle des cordes vocales. Quant au second, il est connu pour être génétiquement prédisposé à la maladie de Parkinson. Or, Google est précisément un des gros soutiens financiers de la Singularity University de Ray Kurzweil qui promeut cette vision futuriste d’un homme aux capacités décuplées par la technologie.

Quelles conséquences sur la réputation de Google ?

Transhumanisme - Time coverPour l’instant, peu de personnes ont réellement conscience de ce visage un peu science-fictionnesque de Google.

Pourtant, il n’a rien de délirant. En janvier 2014, Google a d’ailleurs annoncé une avancée très concrète sous la forme d’une lentille oculaire intelligente.

Celle-ci permettra de surveiller certains aspects du corps humain comme le niveau de glucose pour les diabétiques et d’envoyer instantanément l’information à un ordinateur.

L’hybridation entre l’ordinateur et l’humain n’est donc pas une lubie mais véritablement un nouveau terrain de développement technologique dont Google a finement perçu les perspectives et les enjeux.

Là où la problématique pourrait se corser dans un proche avenir, c’est que Google n’est pas pour autant très bavard sur le sujet. Sur ses sites Web et ses blogs, il est quasiment impossible de trouver trace de contenus évoquant ouvertement ces projets transhumanistes.

Peu de communication sur le sujet du transhumanisme

Excepté quelques concessions ponctuelles comme le récent reportage inédit du magazine américain Fast Company dans les locaux du très secret Google X Lab, le géant de Mountain View ne se montre guère dissert sur ce puzzle qu’il assemble à travers ses récents investissements financiers en intelligence artificielle, robotique et biotechnologie.

C’est là un piège potentiellement critique pour la réputation de Google. Dans notre société dominée par la défiance et un certain sentiment conspirationniste plutôt florissant, œuvrer à l’abri des regards revient à s’exposer au soupçon et in fine au rejet radical.

Pour Google, l’équation est d’autant plus importante  que son image est déjà écornée en matière de respect de la vie privée et des données personnelles depuis l’affaire Snowden. Or, on le voit actuellement avec les Google Glass. Si les thuriféraires inconditionnels de gadgets technos sont volubiles et enthousiastes, les réticences se font jour de manière croissante devant ces bésicles plutôt intrusives.

Pour le moment, Google poursuit sur sa ligne du « monde meilleur grâce à Google » pour se justifier. Pas sûr que cela suffise à lever les doutes, vaincre les peurs et faire accepter les changements. Surtout lorsqu’on parle d’un être humain qui pourrait bientôt être capable de fonctionner comme un algorithme !

Sources

(1) – Gilles Fontaine – « Google sans limites » – Challenges – 30 avril 2014
(2) – Sarah Belouezzane – « Google fait la troisième grosse acquisition de son histoire » – Le Monde – 15 janvier 2014
(3) – Amaury de Rochegonde – « Dix-neuf titres bénéficiaires » – Stratégies – 9 janvier 2014
(4) – Chrys Ayres – « Le gourou de Google » – Le Parisien Magazine – 18 avril 2014
(5) – Rishona Campbell – « Google’s acquisition of DeepMind hints to more intelligent web searches » – Dashburst – 13 février 2014
(6) – Ash K ; Casson – « Step inside the incredible world of Google’s semi-secret Californian facility » – Herald Scotland – 2 mai 2014
(7) – Paul Loubière – « Et Google refait le monde à son image … sans limites » – Challenges – 30 avril 2014
(8) – « Kurzweil joins Google to work on new projects involving machine learning and language processing» – Kurzweil Accelerating Intelligence – 14 décembre 2012
(9) – Laurent Alexandre – « Google et les transhumanistes » – Le Monde – 24 avril 2014

 

Olivier Cimelière

Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.

Une réaction sur “Google doit-il communiquer sur son véritable objectif, le transhumanisme?” :

    • Angevin

      Goole et le transhumanisme, l’IA, l’hybridation homme/machine… Laurent Alexandre et moi même avons évoqué tous ces points en 2010 dans le roman « Google Démocratie » (Naïve)

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      • Laurent Bourrelly

        C’est intéressant. Je vais lire votre livre.
        Pour ma part, j’ai eu accès à des infos récentes depuis l’intérieur de Google X.
        Le débat humanoïde vs humain augmenté est une des clefs de voute. D’un côté, ils partent vers la robotique, l’AI, etc. Sauf que les robots restent très nuls, malgré tout ce qu’on peut dire.
        De l’autre, c’est l’humain augmenté (que nous sommes déjà) qui part tout droit vers la fameuse puce dans le cerveau.
        En plus, dans l’humain augmenté nous avons la voie de la « virtualité réelle » où c’est le film Matrix qui se concrétise. De l’autre, on s’améliore littéralement de plus en plus grâce à la technologie.
        Si cela vous branche, j’en parle avec mon ami Sylvain Peyronnet, docteur es algorithme, dans cette vidéo http://www.laurentbourrelly.com/blog/1607.php

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  1. Stéphane

    Bonjour,

    Je vous propose de lire une explication complémentaire sur mon blog.
    Bonne lecture numérique 😉

    enfersurterre.unblog.fr/2014/05/10/une-analyse-sans-concession-de-la-civilisation-occidentale/

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  2. Jonathan

    Aujourd’hui, la science est une valeur sûre de la société. À terme, elle permettra à l’être humain d’évoluer sur tous les plans, au point de se connaître lui-même, et d’assurer son propre avenir. L’avènement de la Troisième Révolution Industrielle (fusion entre Internet et les énergies vertes) sera nécessaire pour tourner la page des énergies fossiles et de la dépendance énergétique. Et je pense que le transhumanisme est une étape nécessaire, ne serait-ce que pour permettre à la médecine d’évoluer encore, et pour répondre aux défis et aux problèmes actuels posés par la mondialisation.

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