Grands patrons : vos devoirs d’été sur les médias sociaux

Les PDG avancent à pas comptés sur le Web social en dépit d’un très vif intérêt à leur égard. Voici un état des lieux pour donner envie aux patrons d’explorer un peu plus loin Twitter, Linkedin et consorts et les opportunités qu’ils peuvent en tirer. 

Le 24 juin dernier, le community manager du blog clients de Bouygues Télécom était tellement ému de ce qu’il venait de vivre sur les médias sociaux qu’il a choisi d’y consacrer un billet spécial.

Le support de 20 000 personnes

Son grand patron Martin Bouygues venait de refuser les 10 milliards d’euros proposés par Patrick Drahi, président de SFR-Numéricâble. Plus de vingt mille personnes sur Twitter et quasiment autant sur Facebook avaient elles aussi imploré Martin Bouygues de ne pas vendre son réseau.

Difficile pour autant d’affirmer que Martin Bouygues aura intégré cet élan digital dans son refus. Il vient pourtant de se doter d’un compte Twitter depuis le 1er juin dédié d’emblée à ses collaborateurs, mais le PDG ne s’y est guère montré prolixe jusqu’à présent. Une chose est sûre cependant, les internautes se préoccupent des faits et gestes des capitaines d’industrie et de ceux qui innovent ou qui développent de prometteuses pépites entrepreneuriales.

A tâtons et sans précipitation

Netino - banniere communicationAu cours d’un petit déjeuner le 29 juin dernier à Paris sur la réputation d’un PDG à l’heure du digital, Arnaud Pochebonne, directeur général France de l’agence de communication Weber Shandwick et Christopher Abboud, directeur de la communication de Twitter France en convenaient. Les patrons sont désormais autant attendus sur les réseaux sociaux que sur les plateaux de télévision, dans les conférences ou dans des tribunes de quotidiens réputés.

La récente étude de cette même agence intitulée « Socializing your CEO »  abonde dans le même sens. 80% des PDG à la tête des 50 premières entreprises du classement Fortune Global 500 disposent au moins d’un profil social.

En vidéo 

C’est un saut presque quantique lorsque l’on songe que cinq ans plus tôt, ils n’étaient que 36% à s’aventurer sur la terra incognita de la sociosphère. Et en plus d’avoir un profil officiel, certains comme le PDG de Microsoft, Satya Nadella n’hésitent pas à fréquemment recourir à la vidéo pour exprimer un point de vue ou entretenir un blog.

Apparaître n’est pas suffisant

Boss - mapping CAC 40Si Incontestablement les grands dirigeants s’imprègnent petit à petit des réseaux sociaux et ont globalement compris les problématiques liées à ces derniers. Il n’en demeure pas moins que toutes les barrières mentales ne sont pas encore totalement levées.

Bien peu osent aller au-delà du simple re-tweet du communiqué de leur entreprise. Beaucoup se bornent même à lire la prose des acteurs de leur écosystème sans jamais intervenir. C’est certes un premier pas non négligeable mais insuffisant.

Peu de CAC 40 sur les réseaux sociaux

Avec le cabinet Taddeo, l’éditeur de solutions de veille en ligne Linkfluence vient d’ailleurs de se pencher sur la présence des dirigeants du CAC 40 hexagonal sur le Web social. Un constat perdure : peu de comptes ouverts, peu de publications et peu d’abonnés en règle générale car il ne s’y passe pas grand chose.

Stéphane Richard, PDG d’Orange, figure parmi les plus bavards, c’est tout dire quand on voit qu’il n’a émis que 74 tweets à ce jour ! Sa société opérant dans un secteur stratégique et grand public, il fédère cependant plus de 11 400 abonnés.

Comparativement,  Gilles Schnepp, son homologue de Legrand, groupe français d’envergure mondiale dans les infrastructures électriques et numériques pour le bâtiment, mais moins présent dans les médias et dont la marque est moins connue, n’a acquis que 377 abonnés pour proportionnellement plus de tweets émis.

Trop policé pour intéresser

On sait où le bât blesse encore avec l’influence digitale des grands patrons. Hormis ceux issus des médias et de la communication comme le recense le classement mensuel TweetBosses, les autres pêchent par l’irrégularité de leurs messages émis, par absence de ligne éditoriale vraiment lisible et par un ton franchement trop policé pour coller vraiment aux attentes des internautes.

Il n’y a que Xavier Niel qui peut se permettre de faire de la rareté de ses tweets une arme stratégique quasi infaillible. Il n’a dégainé que 18 fois seulement depuis 2008 . Chaque tweet diffusé par le trublion des télécoms déclenche un impact médiatique et un engagement des internautes systématique. Mais tout le monde ne peut pas se prévaloir de la personnalité atypique du fondateur de Free.

Un phénomène pas seulement français

Boss - Mentions CEO tech US TalkwalkerQue les patrons tricolores se rassurent. A quelques exceptions près, leurs alter egos du monde entier sont globalement aux prises avec une réticence digitale similaire.

En janvier 2015, l’éditeur de logiciel de veille en ligne Talkwalker avait publié une exhaustive étude sur la présence numérique des patrons britanniques composant le FTSE 100. Le moins qu’on puisse dire est que la copie n’était guère plus brillante.

Seulement 7 d’entre eux étaient réellement actifs avec en figure de proue Stephen Kelly, PDG de Sage. Ce dirigeant a émis 1900 tweets depuis octobre 2012 et dispose de plus de 8000 abonnés. Sa fréquence de publication est remarquable et il n’hésite pas à répondre quelquefois.

Hors catégorie, Richard Branson

Hors catégorie, figure Richard Branson, patron iconique de Virgin avec plus de 8600 tweets depuis août 2007 et presque 6 millions d’abonnés. Mais là aussi, cet engouement tient avant tout à la figure charismatique hors normes de l’individu.

Plus surprenant en revanche est l’état des lieux de la présence digitale des patrons du numérique américain également effectué par Talkwalker en juin 2015. On dénombre uniquement 6 des 10 PDG du NASDAQ du secteur technologique sur Twitter.

Le fameux « Practice what we preach » si régulièrement égrené dans les séminaires de management en prend un coup ! C’est Chuck Robbins, DG de Cisco qui remporte la palme du plus dynamique avec 79 tweets partagés ces 3 derniers mois pour 5800 followers.

Facebook muet 

Vient ensuite Mark Zuckerberg avec 339 000 followers mais muet depuis janvier 2012. Un constat que déplore Robert Glaesener, directeur général de Talkwalker (1) « dans l’économie de partage, l’aptitude à captiver une audience est maintenant un composant critique des qualités d’un PDG issu de la technologie. Mais alors que de plus en plus de personnes débarquent sur Twitter, Facebook et Linkedin, les PDG de la tech sont toujours en train de peser le pour et le contre pour les rejoindre ».

Patrons, on parle de vous !

Boss - où parle ton de vousAutre grande figure du digital américain notoirement absent de Twitter, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, a pourtant coutume de dire : « Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce ».

Etre présent dans les conversations

On aurait envie de lui rétorquer que la problématique fonctionne exactement de la même manière pour les figures publiques de l’industrie et de l’économie. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à nouveau à l’étude de Talkwalker en date de juin. L’éditeur luxembourgeois a analysé le nombre de mentions recueillies par ces mêmes grands patrons du numérique.

Et là, il n’y a pas photo ! Plus l’enseigne dirigée jouit d’une notoriété importante, plus celui qui en détient les rênes devient l’objet de conversations. Sur la même période des 3 mois (2), Tim Cook, PDG d’Apple a ainsi enregistré 240 000 citations (34% de parts de voix) et Mark Zuckerberg, 220 000 (32% de parts de voix). Rien qu’à eux deux, ils occupent l’essentiel des préoccupations et des tendances parmi les internautes.

Dans les conversations mais pas de compte twitter

Ce constat imparable, Linkfluence le dresse de façon quasi identique  pour les PDG du CAC 40 dans l’étude que la société française vient de dévoiler avec Taddeo. Entre janvier et juin 2015, ils ont scruté l’équivalent de 300 000 sources et 80 000 publications sur Twitter, Facebook, Instagram, Linkedin, YouTube, DailyMotion, les blogs, les forums, etc.

Le top 5 est composé respectivement de Stéphane Richard (Orange) avec 16% de parts de voix, suivi de Olivier Brandicourt (Sanofi, 12% mais aucun compte Twitter), Carlos Ghosn (Renault, 9%, aucun compte Twitter mais quantité de comptes parodiques à son encontre), Vincent Bolloré (Vivendi, 7%, aucun compte) et Jean-Bernard Lévy (EDF, un compte Twitter mais sécurisé et 0 abonné !).

Et pour achever de se convaincre de ce tropisme patronal, il suffit de se remémorer l’émotion véhiculée sur les réseaux sociaux à propos de la fausse mort de Martin Bouygues en avril dernier ou encore le tollé digital international déclenché par l’interview radio du PDG de Barilla en 2013 face à son refus de faire figurer des homosexuels dans ses publicités.

Des enjeux d’adhésion et d’influence

Boss - social CEOPour autant, il ne s’agit pas pour les communicants de se muer en prosélytes inflexibles auprès de leurs patrons sur le sujet des médias sociaux.

Selon les secteurs d’activité et la personnalité du dirigeant, il convient de réfléchir au préalable aux bénéfices qui peuvent être retirés et à la stratégie à décliner. En revanche, deux enjeux s’avèrent désormais incontournables. Le premier est tout simplement l’influence qu’un haut dirigeant doit être capable d’exercer dans son écosystème digital.

Au même titre qu’il s’implique depuis des décennies dans des réunions interprofessionnelles et avec les autorités de tutelle, qu’il parle dans des colloques ou qu’il intervient dans les médias, le PDG doit désormais prendre en compte plus nettement la dimension digitale que les parties prenantes maîtrisent de mieux en mieux (notamment les ONG, les activistes, les journalistes, etc).

24 heures sur 24 

Contrairement aux clichés nourris par certains pour sans doute s’absoudre de leur propre absence digitale, tweeter ne signifie pas être d’astreinte 24 heures sur 24 ou être un oisif qui n’a rien d’autre à faire que de bavasser en mode digital. Il s’agit simplement d’intégrer l’extension digitale du rôle d’influence qui sied à un PDG. Et cela ne requiert pas des quantités d’heures non plus !

Autre point capital : la présence en ligne nourrit l’adhésion du corps interne. Dans l’étude « CEO Reputation Premium » de Weber Shandwick et KRC Research, 47% des cadres français déclarent que la réputation de leur PDG les incite à rester dans l’entreprise.

Qu’on le veuille ou non, le digital s’est donc largement invité dans la construction de cette réputation. En conséquence, demeurer résolument absent ou muet est loin d’être gage de sécurité et de protection contre le fameux « bad buzz ».

A l’instar des dircoms qui cherchent également leurs marques (voir à ce sujet l’excellent billet d’Hervé Monier), les patrons doivent cesser de procrastiner face aux exigences du digital. Ce n’est même plus une question d’outil à manipuler mais un enjeu sociétal et réputationnel auquel répondre pour continuer à demeurer un acteur respecté, digne de confiance et qui fait la différence avec ses concurrents. Alors, cet été, à la plage ou à la montagne, accordez-vous quelques incursions pour commencer à nourrir votre projet de réputation et influence digitales.

Sources

Pour aller plus loin

– Télécharger l’intégralité de l’étude Linkfluence/Taddeo – « Dirigeants du CAC 40 : que disent les conversations »
– Télécharger l’intégralité de l’étude Weber Shanwick – « Socializing your CEO »
– Lire les études citées sur le blog de Talkwalker
– Lire l’article d’Harvard Business Review – « How smart CEOs use social media » – Mars 2015

Olivier Cimelière

Littéraire dans l’âme, journaliste de formation et communicant de profession, voilà pour le tableau synoptique express d’Olivier Cimelière. Olivier a 20 ans d’expérience et un parcours plutôt original dans des secteurs d’activité très variés. Expert en stratégie de communication d’entreprise et de réputation des dirigeants, il est directeur d’Heuristik Communications et anime le blog du communicant 2.0. Depuis avril 2014, il est directeur associé de l’agence d’image et opinions Wellcom.

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