Le management à l’américaine surpasse-t-il le management à la française ?

A l’heure ou la France cherche la croissance, les Etats-Unis décollent à nouveau à plus de 3.5%, leur nombre de chômeurs passe sous les 6% et l’innovation s’accélère. Devons-nous envier le mode de management américain? Joue-t-il un rôle dans cette incessante capacité à rebondir ? L’Europe et les générations Y et Z peuvent-elle nous venir en aide?

J’ai débarqué à Menlo Park, au cœur de la Silicon Valley, sur le campus de Sun Microsystems aujourd’hui propriété de Facebook, juste après l’explosion de la bulle internet. Pétri de mon expérience européenne dans la high tech parmi les grands, le trac m’a envahi car je n’avais jamais dirigé d’équipe américaine. J’ai d’abord sagement observé pour m’adapter culturellement.

A contrario

La culture américaine va a contrario de la nôtre. Tout d’abord, elle est explicite. Par exemple, ce procès victorieux d’un consommateur pressé ayant fait séché son caniche dans son micro-onde, animal qui bien sûr en est mort. La mention « ne pas faire sécher d’animal » figure désormais explicitement sur ces appareils. Dans le monde de l’entreprise, cela se traduit par dire les chose ! Ce qui n’est pas dit n’existe pas et c’est plutôt efficace pour les négociations.

Cela inspire un mode de management piloté par les résultats, factuel, se coupant des émotions. On pilote un projet via des tableaux de bord tels que le « traffic light dashboard« . Très efficace pour synthétiser l’avancement, aider l’équipe à se concentrer sur les éléments critiques et éviter les stériles dialectiques latines. A comparer à nos réunions interminables où chacun cherche à prendre la parole pour disserter sur sa semaine.

Efficace

Focus & Exécution sont les maîtres mots du management à l’américaine, redoutablement efficace. Et la discipline, quasiment culturelle, est au coeur de la manière de procéder. Même pour de petites initiatives, le manager découpe et distribue les responsabilités explicitement et assure la coordination et le suivi de l’avancement.

Chacun s’exécute en déroulant ses tâches, consignées par écrit dans un tableau de bord personnel. Le clipboard est d’ailleurs typique des fournitures de bureau là-bas.

Scolaire pour des Français

Puéril? Scolaire? A première vue oui, pour nous Français, mais quelle fantastique méthode pour passer d’un petit projet à une énorme initiative mondiale. Témoin et acteur d’événements uniques au monde à San Francisco tels que Java One de Sun (25 000 participants) ou Dreamforce de Salesforce (135 000 inscrits), j’atteste que la méthode fait des miracles de rigueur d’exécution, de distribution explicite des tâches, et de discipline individuelle et collective.

La gestion du temps illustre aussi nos différences. Le temps, cette denrée périssable, est au coeur de l’exécution. Comme Peter Drucker, gourou et inventeur du management moderne écrivait: « le temps est la ressource la plus rare et à moins qu’il soit contrôlé rien d’autre ne peut être contrôlé« . Les réunions démarrent et surtout terminent à l’heure par exemple. Notre productivité française pâtit de notre relation approximative au temps.

Droit à l’échec

Enfin l’état d’esprit américain est sculpté par quelques fondamentaux: le droit à l’échec, le gout de l’innovation et la culture de la compétitivité. Essayez d’approcher un fond d’investissement pour lever des fonds en France en expliquant que vous avez déjà piloté et abandonné plusieurs créations d’entreprise: circulez jeune homme, vous en avez assez fait! Aux Etats Unis, les investisseurs préfèrent épauler des entrepreneurs aguerris par plusieurs échecs, la qualité première est de savoir rebondir.

« Fail often, fail early » – échouez souvent, échouez tôt – devise typique. Thomas Edison après avoir essayé plus de 6000 matériaux pour fabriquer le filament de l’ampoule électrique, disait: « je n’ai pas échoué. J’ai juste trouvé 10.000 moyens qui ne fonctionneront pas. »

Adoption rapide de l’innovation 

A l’aune de cet innovateur en chef, l’adoption des innovations est un réflexe outre-atlantique. Les entreprises adoptent très rapidement les nouvelles technologies et s’en séparent aussi rapidement en absence de résultats tangibles. Pragmatisme, culture du risque et pilotage par les résultats sont des mots d’ordre. Voilà probablement pourquoi l’épicentre de la High Tech a élu domicile là-bas.

Autre point, la comparaison des profils cognitifs des Américains et des Français met en évidence que  l’Américain aime la compétition, il veut être le premier. Il acquiert ce réflexe dès l’école, au sport. Le Français typiquement aime être en opposition. Au cours des réunions,  il est souvent celui qui invoque toutes les raisons pour lesquelles l’initiative ou la suggestion proposée ne va pas fonctionner. L’Américain positive, il se concentre sur les progrès. Le Français râle beaucoup.

Créativité insatiable

Mais alors dans ce tableau à charge, qu’en est-il de l’avenir du management à la française? Comptons nos atouts: créativité insatiable, capacité à fournir de gros efforts en peu de temps, capacité à garder une vue globale des projets, mathématiciens et développeurs de talents que les Etats Unis nous débauchent, etc.

Mais être européen est notre avantage concurrentiel suprême. La diversité des talents européens est unique au monde. Il m’a été donné plusieurs fois le plaisir de piloter des équipes pan-européennes. On observe alors la créativité française alliée à la rigueur allemande, au sens du design italien, au pragmatisme néerlandais, à l’habilité anglaise dans l’influence et le réseautage, au  goût du processus et de l’ouverture d’esprit des pays nordiques, et enfin le courage ibérique. Le tout fait des merveilles lorsque tous travaillent de concert.

Peur de rien 

Ajoutez à cela un zeste de génération Y et Z qui n’ont peur de rien, s’organisent spontanément en réseau, pratiquent instinctivement l’adoption rapide de l’innovation et la culture de l’essai, et vous disposez du modèle de l’entreprise européenne taillée pour être un leader mondial.

Emmanuel Obadia

Passionné de Cloud Computing, réseaux sociaux, Internet des objets et transformation digitale de l'entreprise, ingénieur télécoms, Emmanuel Obadia a été responsable en Europe et aux Etats Unis des fonctions internationales de marketing et de direction produits au sein de grands groupes, tels que Salesforce, Sage, Sun Microsystems, Peoplesoft, IBM et Lotus.

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