Les monnaies virtuelles ont le vent en poupe. Cet univers est à hauts risques et immature. C’est l’alerte que donne Philippe Carpentier, Directeur général adjoint du Crédit Agricole d’Ile-de-France dans cette tribune.
Depuis dix ans, les crypto-monnaies tels que Bitcoin, Ethereum, Ripple et autres, nous font miroiter des rendements financiers spectaculaires dont les menaces et les pertes me semblent sous-estimées. Univers peu régulé, ces crypto actifs comptent à ce jour près de 1 600 « monnaies » virtuelles et, depuis 2016, des dizaines de levées de fonds via des jetons numériques, les ICO ou Initial Coin Offerings.
Le Bitcoin représente 0,2% des transactions de la zone euro
Si je constate que ces nouvelles « monnaies » saturent régulièrement l’espace médiatique, on ne saurait en dire autant de leur présence dans l’économie réelle. Le Bitcoin ne représente que 0,2% des transactions au sein de la zone euro. Quand chaque minute, Visa et Mastercard exécutent près de 200 000 transactions, Bitcoin en opère seulement 80.
En tant que banquiers, notre devoir est d’agir contre le défaut d’information qui entoure ces investissements
Chacun est libre de ses investissements. Cependant, je veux tout de même appeler les clients à la plus grande vigilance car ce sont ces mêmes arguments qui rendent ces investissements si risqués. Les crypto actifs fonctionnent selon une logique d’incitation financière de très court terme. Sans contrôle centralisé, les devises virtuelles ne possèdent pas de cours légal, à l’opposé des monnaies officielles qui disposent de taux de conversion entre pays et banques centrales.
Les crypto-monnaies sont synonymes de grande volatilité
Quant aux ICO, elles ne protègent en rien les investisseurs boursiers en cas de piratage ou de faillite des plates-formes intermédiaires. Point qu’il me semble également important de soulever, les crypto-monnaies sont de fait synonymes d’une grande volatilité : environ vingt-cinq fois plus élevée que celle du marché américain des actions, douze fois supérieure à celle du yen et cinq fois plus forte que celle des matières premières.
20% des crypto acheteurs dans le monde s’endetteraient pour financer leurs investissements
Concernant les levées de fonds par ICO, mon rôle est d’alerter sur le fait que les plates-formes servant d’intermédiaires entre investisseurs et émetteurs de jetons sont confrontées à un nombre croissant de fraudes, de falsification des clés privées et autres logiciels malveillants. Entre 2011 et 2018, Morgan Stanley a ainsi recensé 19 incidents graves pour un montant estimé des pertes s’élevant à 1,2 milliard de dollars. Lors de tels piratages, les détenteurs de crypto actifs n’ont souvent aucun recours. 10% des montants des ICO ont disparu ou ont été volés.
Les ICO ne présentent pas de garantie pour les souscripteurs
Je poursuis mon tour d’horizon de ce nouvel univers avec un autre enjeu majeur : celui de la garantie d’opérations sûres. Comment appliquer des droits définis dans des législations nationales à des actifs immatériels circulant à grande vitesse sur Internet ? Là encore, les ICO ne présentent pas de garantie pour les souscripteurs. Entre 2016 et début 2018, le cabinet E&Y estime que sur les 3,7 milliards de dollars levés via de telles opérations, 400 millions de dollars avaient disparu ou avaient été volés. De plus, nombre de plates-formes d’ICO agissent sans aucun agrément ni contrôle. Elles sont parfois tenues par un simple particulier, confrontant les épargnants au mieux à un risque de négligence ou d’amateurisme, au pire à de l’escroquerie pure et simple.
Le Libra, cette monnaie virtuelle, aux mains d’une entreprise privée, souhaite à terme concurrencer les monnaies fiduciaires
Sans approbation des régulateurs compétents, il est plus compliqué de se faire une place. Et de gagner la confiance des clients. D’une manière plus générale, les pouvoirs publics se sont emparés de cet enjeu qui touche à la confiance financière comme au patrimoine des personnes. En France, la loi PACTE votée en 2019 a instauré un cadre pour les levées de fonds par émission de jetons et pour l’achat de tels titres (via des prestataires de services sur actifs numériques).
Une liste noire des plateformes non autorisées
En parallèle, l’Autorité des marchés financiers tient à jour une liste noire des plates-formes non autorisées. Dépourvues de visa d’agrément, celles-ci ne peuvent plus démarcher le grand public. Pour les investisseurs boursiers français, c’est une première protection, mais en mode mineur. Sur le front des monnaies virtuelles en revanche, tout reste aux risques et périls des clients.
C’est pourquoi, au Crédit Agricole d’Ile de France, nous avons décidé d’instaurer une procédure d’alerte pour informer les clients qui souhaiteraient se laisser tenter par l’aventure des crypto-monnaies. Car j’insiste, notre rôle est d’informer – pas de réprimer. Quoi qu’il en soit, en matière de crypto-investissements, ma recommandation est de faire preuve de la plus grande prudence, pour ne pas s’exposer au jeu du « vouloir plus pour perdre plus ».