Robin Li, le très discret PDG de Baidu, le Google chinois était à Paris à l’occasion de Viva Tech. Il y a détaillé une stratégie fort différente de celle de son rival américain. Une approche du marché à laquelle les annonceurs français vont devoir se plier s’ils veulent conquérir l’empire du milieu. « Nous comprenons mieux les gens que ne le font les banques, » annonce en particulier le PDG.
Le fondateur de Baidu, Robin Li, avoue volontiers apprécier de ne pas être reconnu dans la rue lorsqu’il visite les grandes capitales mondiales. Si Mr Li se montre bien plus discret qu’un Mark Zuckerberg, que Sergueï Brin ou Larry Page et surtout que son rival Jack Ma, le très médiatique PDG d’Alibaba, il a pourtant créé un empire.
Baidu est le premier site chinois en termes d’audience et détient 71% du marché du « Search » en Chine. Son titre de Google chinois n’est pas usurpé car Baidu compte 43 500 employés et mène de très nombreuses initiatives dans l’éducation, la recherche, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle avec « Baidu Brain ».
Un moteur de recherche qui suscite son propre contenu
Tout comme Google, Baidu a lancé un programme de recherche sur la voiture autonome et à dévoilé sa Baidu Car en 2015 cependant l’analogie s’arrête là. Baidu a une culture d’entreprise et une approche du marché très différentes de celles du californien.
Dès la création de Baidu, en 2000, alors qu’il revient des Etats-Unis, Robin Li adopte une approche différente de celle de Sergueï Brin et Larry Page : « Lorsque je suis rentré de la Silicon Valley, il y avait moins de 10 millions de personnes connectées à Internet en Chine. Ils sont aujourd’hui plus de 700 millions et nous avons été capables de réaliser une croissance extrêmement rapide. En 2003, la technologie d’indexation des contenus était déjà là, mais il y avait encore peu de contenus en langue chinoise. Je me suis alors demandé comment aider nos utilisateurs à créer plus de contenus. »
Il décide alors de doter le moteur de recherche Baidu d’un outil permettant à chacun de publier ses questions et à la communauté des utilisateurs Baidu d’y répondre. Une stratégie de type User Generated Content qui porte rapidement ses fruits avec des dizaines de millions de contenus qui viennent enrichir le site qui devient aussi fournisseur de contenu.
« Plutôt que de simplement créer un index, nous fournissons aux utilisateurs une infrastructure pour créer du contenu. C’est comme cela que Baidu est aussi devenu son propre Wikipedia, » dit-il.
Les Chinois d’abord
Une autre illustration de cette différence de culture entre Baidu et Google porte sur son approche de l’innovation. Ainsi, lors des premières années du service, Baidu est confronté au manque de contenus en chinois. « J’ai demandé à mes amis que faire face à ce manque de contenus en chinois ? Ils m’ont suggéré de développer un service de traduction en ligne puisqu’il y avait à l’époque bien plus de contenus disponibles en anglais, » se souvient-il.
« Un tel service aurait pu donner accès à ces contenus à de nombreux Chinois mais j’ai décidé de ne pas le faire car j’ai estimé que le contenu généré en chinois serait de plus en plus important. J’écoute ce que me disent les gens mais je préfère analyser et décider par moi-même, » tranche-t-il.
Depuis, la population chinoise s’est massivement connectée à Internet et les contenus en langue chinoise abondent. Robin Li souligne non sans malice : « nous avons du répondre au problème de la croissance dès les premiers temps. Google double son index tous les ans, nous devons tripler le notre tous les 6 mois car le contenu généré en chinois sur Internet croit bien plus rapidement que les contenus en anglais. »
Objectif n°1 : conserver l’internaute sur son site
Dans son offre de services en ligne, Robin Li revendique une approche différente de celle adoptée par les moteurs de recherche classiques. L’objectif des concepteurs de Baidu est d’inciter les visiteurs à rester sur Baidu.
Plutôt qu’une simple liste de liens, le site propose des pages de résultats chargées d’un maximum de contenus, à la manière de Facebook. En réponse à une requête, Baidu fournit des photos, des pages thématiques afin d’inciter les internautes à rester sur son site.
Une logique qui va très loin notamment vis-à-vis du commerce électronique puisqu’il est possible de mener une transaction d’achat de A à Z sans quitter Baidu, jusqu’à la phase de paiement qui est réalisée sur la plateforme.
« L’expérience utilisateur du Web n’est pas bonne car vous devez vous enregistrer quand vous passez sur un autre site. Quand quelqu’un surfe sur Baidu, il n’est pas nécessaire de s’enregistrer pour mener une transaction jusqu’à son terme » souligne Robin Li pour qui cette vision ultra-centralisée est plus que jamais pertinente à l’heure de la mobilité.
La publicité en ligne traditionnelle pèse 90% du CA de Baidu
Cette stratégie d’intégration va très loin puisque Robin Li n’hésite pas empiéter sur les secteurs de la banque et des assurances. « Il existe de nombreuses opportunités au delà du « Search » dans le domaine des services. Ainsi, dans le domaine financier, nous pouvons accorder des prêts à des gens qui ne peuvent en obtenir auprès des banques traditionnelles. »
Dans ces secteurs, Baidu s’est allié à AXA, à la banque chinoise CITIC ainsi qu’à l’assureur CPIC. L’ambition de Robin Li n’est pas de positionner Baidu sur le microcrédit, mais bien sur les prêts à la consommation : « nous avons une meilleure compréhension de ce que sont ces personnes que les banques. Nous utilisons notre technologie d’intelligence artificielle afin d’offrir ce type de nouveaux services. »
Robin Li cherche à diversifier les sources de revenus de Baidu qui sont aujourd’hui 90% générés par la publicité classique. Cette stratégie qui privilégie les services pousse le chinois à proposer de nouveaux modèles de partage des revenus à ses annonceurs.
C’est le cas avec les marchands dont les transactions sont directement réalisées sur Baidu, c’est aussi le cas avec la distribution traditionnelle. « Vous pouvez réserver des nuits d’hôtel directement sur Baidu Map pour le même jour et nous prenons une commission sur cette réservation. »
Le Web to store dope les profits
L’entrepreneur s’intéresse aussi au commerce de détail et se positionne sur le Web to Store : « Si une enseigne pousse ses clients vers le online, ses profits vont chuter. Par contre si elle pousse ses visiteurs online vers ses points de vente, ses profits vont croitre de 80%, c’est mathématique, » dit-il.
« Ce que nous essayons de faire pour ces enseignes, c’est de les aider à pousser les internautes à aller vers leurs points de vente. Actuellement nos revenus issus de la publicité en ligne sont supérieurs à 90% mais nous allons graduellement abaisser ce niveau au profit de revenus issus de third parties. »
Le mobile, la clé du futur du « Search »
Si Baidu est porté par la croissance forte du nombre d’utilisateurs d’Internet en Chine, le marché du moteur de recherche est plus disputé en Chine qu’il ne l’est en Occident et Robin Li estime que la concurrence y est plus rude qu’en Europe ou aux Etats-Unis.
« Internet continue de croître très rapidement en Chine, nos initiatives en termes de communications et de E-Commerce connaissent un grand succès. En Chine, il y a plus de moteur de recherche qu’il n’en existe en Europe ou aux Etats-Unis. Nous faisons face à une forte concurrence sur le Search, » déclare le dirigeant.
L’explosion du trafic Internet mobile a donc été pour Baidu à la fois une opportunité, mais aussi un réel danger de voir les équilibres bousculés sur le marché du Search. « A l’arrivée du mobile, j’étais préoccupé de ce que nous devions offrir à des utilisateurs mobiles qui payait leur accès plus cher et dont les débits sont très limités. Il faut montrer moins de liens, moins de contenus, nous avons opté pour cette approche news feed. Le prédictif pour identifier la volonté de l’utilisateur est très naturelle sur mobile etc. »
60% du CA vient du mobile
Robin li le reconnait, il a fallu deux ans au géant chinois pour réellement intégrer les enjeux de la mobilité et véritablement adapter son outil de recherche desktop sur mobile. « Aujourd’hui 60% de notre chiffre d’affaires vient du mobile, mais à l’heure des apps, la question est est-ce qu’ils ont encore besoin du Search ? Nous devons répondre à ces nouveaux comportements des consommateurs et nous devons continuer à innover. Ma devise, c’est qu’au plus vous êtes optimiste, au plus vous êtes innovant ! »
Illustration de ce désir d’innovation, Duer, l’assistant virtuel mis au point par Baidu, une réplique chinoise au Siri d’Apple et à Google Now, un assistant virtuel qui comprend le langage naturel et qui dispose désormais d’une entité robotique. C’est un robot Baidu Duer qui prend les commandes des clients du KFC de Shanghai.
Accompagner les touristes chinois
Dominateur en Chine, au coude-à-coude avec les occidentaux sur le plan technologique, Baidu ne semble toutefois pas prêt à défier Google et Amazon hors de Chine. Si Robin Li a affirmé à Maurice Levy qui l’interrogeait sur la grande scène de la conférence Viva Technology sa volonté d’accroitre sa présente en Europe et aux Etats-Unis et au Japon, celui-ci n’a pas véritablement donné de détail sur sa stratégie internationale.
Le PDG de Baidu garde la tête froide : « Le Search est un marché mature, et nous devons trouver un moyen d’atteindre ces nouveaux marchés. » La première piste évoquée par Robin Li est celle des Chinois à l’étranger. Une stratégie qui ressemble à celle de Wechat.
« Quand je suis allé dans les grands magasins de Paris, je n’y ai croisé que des touristes chinois » ironise Robin Li » Et quand les touristes chinois viennent à Paris, ils ouvrent Baidu Map et ils doivent pouvoir trouver où sont les meilleurs magasins de Paris !« .
Robin Li cache-t-il son jeu ? Baidu dispose bel est bien d’une implantation dans la Silicon Valley, à Sunnyvale, mais il ne s’agit que d’un laboratoire dédié à l’intelligence artificielle et à la mise au point de la Baidu Car. Il faudra sans doute attendre encore quelques années et que le marché chinois arrive à maturité avant que Robin Li ne se tourne véritablement vers l’international.