ROI, croisement des données, volatilité des clients : Carrefour monétise ses Datas

Michel Bellanger, directeur marketing de Carrefour Médias : "le point de vente est une audience" (Photo : Carrefour)

Carrefour monétise les audiences de ses grandes surfaces et de ses sites Web. Le leader européen de la distribution mise sur le lien entre le digital et son CRM qui regroupe 13,7 millions de porteurs de cartes de fidélité. Un nouveau métier qui fait lentement sa place chez le distributeur en s’appuyant sur la technologie. 

Avec un chiffre d’affaires supérieur à 40 milliards d’euros en France, Carrefour est un géant de la distribution classique et si l’enseigne est déjà très présente dans le numérique, elle réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires dans ses points de vente physiques.

Jouer la carte de la Data

Néanmoins, le distributeur entend désormais jouer la carte de la « data » notamment pour séduire les marques annonceurs et s’imposer sur le marché publicitaire au même titre que les Google ou Facebook et ajouter un « C » à GAFA.

Michel Bellanger - Carrefour - BF3Cette ambition peut paraître démesurée mais Carrefour a quelques arguments à mettre dans la balance face aux grands annonceurs du marché français, dont un atout de poids, sa « Data ». « Nous avons aujourd’hui 13,7 millions de porteurs de carte de fidélité et plus de 2 ans d’historique, des data précises à l’EAN (code barre) près » déclare Michel Bellanger, directeur marketing de Carrefour Médias (ci-contre)

Il a pris la parole à l’occasion de l’assemblée générale de l’EBG, le 21 Juin. Il poursuit : « notre enjeu est de répondre aux attentes des annonceurs. Le point de vente aujourd’hui, ce n’est pas qu’un magasin ou un site e-commerce, c’est une audience que nous devons être capables de cibler. »

Un vaste projet d’onboarding du CRM 

« 90% du business de Carrefour se fait aujourd’hui en physique or dans le même temps nos clients sont de plus en plus digitaux » poursuit le responsable marketing. Pour réconcilier ces deux mondes, Carrefour a fait le choix d’Acxiom afin « d’onboarder » son CRM sur leur plateforme LiveRamp.

Le lien entre les consommateurs identifiés par leur carte de fidélité et leur navigation sur internet est un travail en cours. Cette opération pourrait atteindre 60% à terme des porteurs de carte de fidélité, considère Michel Bellanger.

Le 100% n’étant pas atteignable, sachant que, statistiquement, 20% des clients Carrefour ne disposent pas d’un accès Internet, et que 20% supplémentaires ne souhaitent pas être sollicités par des messages commerciaux via les canaux digitaux.

Relier une bannière au panier en sortie de caisse

Cet onboarding permet de nouveaux types d’opérations promotionnelles. « C’est ce qui nous permet de proposer aujourd’hui à nos annonceurs des opérations digitales à l’extérieur du magasin. » En « onboardant » la base CRM Carrefour, Michel Bellanger cherche à créer le lien entre une bannière poussée sur un site Web de l’enseigne (ou sur un site quelconque via retargeting), à un client physique, à un panier, un achat.

« Cela nous permet de proposer à nos annonceurs des opérations véritablement mesurables que cela soit dans le cadre de simples opérations média ou des opérations promotionnelles via notre CRM. »

Objectif : mesurer l’impact réel d’une campagne bien après son achèvement

Pour le directeur marketing de la régie médias de Carrefour, ce lien est capital entre les métriques issues du digital, les données CRM et les données de sortie de caisses. « Il faut être capable de mesurer les KPI standards d’efficacité des campagnes digitales, comme le nombre de personnes exposées, le nombre de clics, le nombre d’impressions, mais il faut aussi comprendre quel est l’impact sur le chiffre d’affaires en magasin. »

Ce qui a été mesuré. Résultat, « en 2015 nous avons mené près de 40 campagnes pour nos clients FMCG (biens de grande consommation) et les ROI vont de 0,5 à 11, » annonce-t-il.

En pratique, une opération de communication peut fort bien avoir été un succès sur le plan digital, mais un échec en termes d’accroissement des ventes. A l’inverse, les effets d’une campagne digitale peuvent être prolongés bien au-delà de la durée de la campagne elle-même, souligne Michel Bellanger.

700 000 € de gagnés pour une mise de 70 000 €

Autre cas évoqué par Michel Bellanger, une campagne réalisée en décembre dernier pour promouvoir les produits traiteur Carrefour. « Nous avons fait quelque chose d’absolument extraordinaire : entre exposés et non-exposés, nous sommes parvenus à augmenter le panier moyen qui est passé de 90 € à 91 €. Or 1 € de chiffre d’affaires incrémental sur 700 000 personnes, cela représente un incrément de 700 000 euros, pour un investissement média de 70 000 euros. Le calcul de ROI d’une telle campagne est évident. »

Si le responsable marketing de Carrefour Medias avance des chiffres aussi précis, c’est aussi qu’il souhaite faire évoluer la vision des annonceurs qui restent encore très axée sur les KPI classiques du marketing digital.

« Il faut proposer des outils plus puissants et plus performants afin d’apporter aux annonceurs de la valeur ajoutée sur la compréhension de la construction du business. Le Big Data nous apporte une très grande granularité au niveau de la donnée. Il permet cette capacité à suivre l’individu sur la durée et donc finalement à réconcilier la donnée CRM individuelle et la donnée business pour le compte des marques. »

25% des parts de marché des grands annonceurs

Il ajoute : « ensuite, il faut réfléchir à la meilleure façon de les adresser. La régie offre aux annonceurs la possibilité d’adresser un client de plusieurs manières différentes en fonction de l’objectif : email, mailing postal, coupon caisse, et aujourd’hui un canal supplémentaire, le display ciblé. »

Carrefour propose ses audiences. « Aujourd’hui nous sommes capables de mettre à disposition des annonceurs un CRM déjà opérationnel dans l’écosystème Carrefour qui représente 25% de parts de marché des gros annonceurs en France. »

50% de ventes en plus grâce au lien avec le digital

Les effets d’une campagne digitale peuvent être prolongés bien au-delà de la durée de la campagne elle-même, comme l’illustre l’exemple délivré par Michel Bellanger, directeur marketing de Carrefour Médias.

« Nous avons mené une campagne pour un alcool blanc bien connu [NDLR : du rhum] qui entre dans la composition des Mojito. Nous avons ciblé nos clients à qui nous avons envoyé des recettes de cocktails Mojito et de Cuba Libre, » explique-t-il.

Les campagnes ont connu de bonnes performances. « Elles ont eu plusieurs millions d’impressions et des taux de clic très satisfaisants par rapport aux bench du marché, » dit-il. Ce sont des KPI très classiques en marketing digital. Et Carrefour a pu ensuite suivre l’impact réel de la campagne aux passages en caisses en ciblant ses clients « physiques » porteurs de sa carte de fidélité.

« L’incrément de chiffre d’affaires a atteint 15 points pendant les 8 semaines de campagne. Et puisque nous suivions les achats de nos clients via leur carte de fidélité, nous avons pu établir la performance de la campagne à moyen et long terme sur les ventes, » pointe-t-il.

La performance de la campagne a pu être mesurée selon que les clients aient été exposés ou non à la publicité. « Nous avons donc observé l’impact de la campagne dans les 8 semaines qui ont suivi et l’incrément de chiffre d’affaires entre nos clients exposés et non exposés a atteint 50% ! » se réjouit-il.

L’onboarding permet d’affiner le calcul du ROI des campagnes. Ce lien entre les mesures digitales et les données de ventes a permis de démontrer que les gens qui ont reçu ces recettes se sont mis à consommer régulièrement des Mojito et des Cuba Libre et sont effectivement allés racheter une bouteille dans les semaines qui ont suivi la campagne. Cette nouvelle approche doit permettre d’avoir une vision à moyen et long terme d’une campagne digitale.

50% de la base client d’une marque renouvelée chaque année !

L’analyse des données de caisses a permis à Carrefour de faire apparaître l’extrême volatilité des clients. « Venant d’une agence média, j’ai découvert en arrivant chez Carrefour qu’en un an, l’ensemble des marques FMCG perdent et recrutent en moyenne 50% de leur base client, » affirme Michel Bellanger, directeur marketing de Carrefour Médias.

Les clients ne disparaissent pas en revanche de chez Carrefour. « Leurs clients restent chez Carrefour, mais ils changent de marque fréquemment même si les parts de marché de chacun ne bougent pas. Les panels ne reflètent pas les mouvements énormes qui se dissimulent derrière leurs chiffres agrégés, » constate le responsable.

Face à ces phénomènes, Carrefour mise désormais sur ce que l’on nomme le « People Based Marketing », non plus la simple étude de KPI très générale et de métriques agrégées, mais une approche Big Data. Une vision client unique qui se base sur l’analyse de données très détaillées qui inclut tant l’ensemble des achats réalisés par un client sur plusieurs années, mais aussi les données issues des médias digitaux.

« Cette vision client unique est désormais opérationnelle. Celle-ci doit être agnostique et inclure les anciens clients, les clients abandonnistes, ceux qui sont en perte de vitesse, les clients à réactiver et bien sûr les nouveaux clients, » décrit-il.

 

Le Safe Haven : mettre en commun des Data sans les partager

Pour améliorer encore l’efficacité des campagnes que Carrefour Medias mène pour ses annonceurs, Michel Bellanger, directeur marketing de Carrefour Médias, espère désormais pousser ses annonceurs à ouvrir leurs propres CRM afin de croiser les données clients avec celles de Carrefour et de réaliser des campagnes mieux ciblées.

Comme bien évidemment aucun industriel ne voudrait laisser les distributeurs piller ses bases de données, Michel Bellanger mise sur une approche de type Safe Haven (DSSH / Data Science Safe Haven) telle qu’implémentée sur la plateforme LiveRamp d’Acxiom.

« Cette capacité de Safe Haven nous permet de respecter la donnée de chacun. En tant que régie publicitaire, nous savons bien qu’il y a un vrai enjeu sur la propriété de la donnée. Carrefour a des données qu’il ne souhaite pas partager avec Groupe Seb, par exemple, et Seb ne souhaite pas partager toutes ses données avec Carrefour. Pour autant, nous devons être capables de croiser nos données afin de produire des opérations qui ont du sens » résume Michel Bellanger.

Pour le directeur marketing, cette fonction de Safe Haven qui permet de croiser les données dans le Cloud sans que chacun des partenaires n’ait directement accès aux données de l’autre, doit permettre à Carrefour Medias de nouer de nouveaux partenariats que ce soit avec des industriels ou les opérateurs télécoms avec des données de géo-localisation et affiner encore les campagnes marketing pour avoir un impact encore plus grand.

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